Ecriture et Magie – Mona Chollet

« Dans un documentaire qui lui était consacré, l’auteur de bande dessinée Alan Moore (V comme Vendetta) disait: « Je crois que la magie est de l’art, et que l’art est littéralement de la magie. l’art, comme la magie, consiste à manipuler les symboles, les mots ou les images pour produire des changements dans la conscience. En fait, jeter un sort, c’est simplement dire, manipuler les mots, pour changer la conscience des gens, et c’est pourquoi je crois qu’un artiste ou un écrivain est ce qu’il y a de plus proche, dans le monde contemporain, d’un chaman. » Aller débusquer, dans les strates d’images et de discours accumulés, ce que nous prenons pour des vérités immuables, mettre en évidence le caractère arbitraire et contingent des représentations qui nous emprisonnent à notre insu et leur en substituer d’autres, qui nous permettent d’exister pleinement et nous enveloppent d’approbation: voila une forme de sorcellerie à laquelle je serais heureuse de m’exercer jusqu’à la fin de mes jours ».
Mona Chollet – Sorcières, la puissance invaincue des femmes.

« Summer » de Monica Sabolo

Aujourd’hui je voulais vous parler de « Summer » de Monica Sabolo. Un roman à l’atmosphère inquiétante et envoûtante. Un polar des profondeurs qui remue la vase du Lac Leman pour découvrir le secret sur la disparition de Summer, jeune fille énigmatique de 19 ans.

Ce qui m’a attiré vers ce roman? Son autrice, découverte lors d’un entretien dans la Grande Librairie. J’ai tout de suite apprécié sa façon de s’exprimer à la fois intuitive et réfléchie. Une sensibilité à la Nature qu’elle explore dans plusieurs de ses romans comme si elle tirait le fil d’une pelote qu’elle ne voudrait pas lâcher, persuadée qu’il va la mener à un trésor. Dans cette quête, je me suis sentie invitée à la suivre. Comme si j’avais l’opportunité de faire un bout de chemin avec une amie.

Le résultat de cette première rencontre s’appelle « Summer ». Le choix de ce prénom-saison reflète parfaitement la profondeur de ce roman. Une saison qui évoque le soleil, les vacances et l’insouciance. Une saison beaucoup centrée sur les apparences. C’est le moment d’exposer son corps en maillot suivant les injonctions de notre société à incarner la femme parfaite. Monica Sabolo nous décrit cette saison là: éblouissante, lumineuse, terriblement vivante. Mais elle s’aventure bientôt derrière les apparences. Là où le soleil se transforme en chaleur moite. Où l’eau qui ruisselle sur les corps devient filet de sueurs froides entre les omoplates. Et c’est dans cette dualité, dans cette ambivalence que la créativité de Monica Sabolo me semble exprimer pleinement sa voix, distincte et poétique. Elle ne se contente pas de porter la beauté, même si elle sait lui donner le plus beau des écrins, mais s’attaque aussi aux facettes plus dures. Elle cisèle son texte pour laisser émerger les failles, les souffrances cachées.

Du point de vue de l’écriture:
Je vous partage cette lecture car il me semble qu’elle a déverrouillé quelque chose dans mon âme d’écrivaine. Une façon d’écrire plus ample, une autorisation à être plus connectée à mon intériorité, libérée de je ne sais quoi. Alors j’ai tenté de mettre les mots sur cette découverte du point de vue de l’écrivaine, en tentant d’identifier plus clairement ce qui m’a plu:
– J’ai découvert un univers sémantique d’une ampleur que je ne pensais pas possible et c’est une véritable découverte. Cette liberté dans le choix des mots et leur association toute personnelle tisse un univers unique, très réel.
– Les métaphores sont omniprésentes et choisies avec une justesse qui m’a percuté à plusieurs reprises. J’ai compris que la force de la métaphore dépend de cette connexion profonde à ce qui anime l’auteur au moment d’écrire son texte.
– Au-delà de cela, j’ai aussi été captivée par les descriptions. Toujours d’une grande poésie, elles tirent leur force d’une intelligence perceptive envoûtante. Les associations de mots sollicitent les cinq sens et m’ont emporté dans un tourbillon sensoriel à la fois puissant et rassurant. Cette sensorialité matérialise le décor et ancre profondément le récit dans une réalité qui exprime une sensualité palpable.
– On dit souvent qu’un bon personnage doit être réaliste et je suis assez convaincu de cela. Pourtant, les personnages de « Summer » tirent leur singularité du fait qu’ils sont plutôt fantasmés. Ils ne cherchent pas à être réalistes car ils existent dans une réalité autre et c’est ce qui fait leur force.
– J’ai aussi reçu la confirmation que l’ambivalence, les faux-semblants et la complexité des apparences constituent une thématique qui me touche et m’anime personnellement.

Au moment où j’écris cet article, je suis en pleine lecture de « Eden » le nouveau roman de Monica Sabolo qui confirme mon affinité avec l’univers particulier de cette autrice. Je vous en reparle certainement très bientôt.