Rêve et réalité – E. Vonarburg

« Les rêves ne sont pas forcément le contraire de la réalité: ils sont peut-être plutôt ce qui nous encourage à la transformer. »
Elisabeth Vonarburg – Comment écrire des histoires

L’audace est la magie – JW Goethe

“Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir, de la magie.”
Johann Wolfgang von Goethe

Virginie Despentes – Transcender ses failles

Certains livres vous marquent plus que d’autres. Certaines histoires vous dévoilent plus que leur propre scénario. C’est vrai de Vernon Subutex, mais cela pourrait être vrai de tous les livres de Virginie Despentes que j’ai lu à ce jour (Baise-moi, Vernon Subutex Trilogie, King Kong Théorie). C’est pourquoi je vous parle aujourd’hui de l’Univers de Virginie Despentes. C’est pourquoi je vous parle de cette découverte qui est venue bousculer ma vision de l’écrivain bien pépère derrière son écran.

La violence et le sexe pour moi constituent les deux ingrédients les plus accessibles de la provocation. Ils sont employés partout à tord et à travers, la plupart du temps pour nous manipuler dans l’espoir de nous faire consommer. Ça peut être un parfum, une entrée de ciné, un abonnement Netflix ou même du Porno. Si on y regarde bien, la violence et le sexe sont omniprésents dans notre environnement quotidien. Pour moi, ils étaient devenus, non pas des sujets tabous, mais des leviers marketing éculés qui me faisaient lever les yeux au ciel. Jusqu’à la découverte des œuvres de Virginie Despentes et c’est d’ailleurs un miracle que je sois parvenue à ouvrir un de ses livres avec le genre d’à priori que je me traînais sur ces sujets.

Ce qui a fait la différence ? King Kong Théorie. Un essai féministe qui a beaucoup fait parlé de lui a sa sortie. J’avoue que le battage médiatique a souvent tendance à m’écarter de certains sujets plutôt que de m’y attirer. Et c’est dans mon propre timing que je me suis mise à creuser la pensée si singulière de Virginie Despentes. Je n’ai pas été déçue ! Sa vision de la féminité, construite autour de valeurs inédites de responsabilité et d’autonomie, m’a énormément bousculée, et j’ai alors envisagé de me lancer dans sa bibliographie avec un regard neuf.

« Baise-moi » a été son premier roman. Il avait défrayé la chronique à l’époque ce qui avait alimenté mon scénario interne associant violence, sexe, provocation et consommation. Pourtant, à la lumière du parcours de cette autrice, de son engagement féministe, de ses idées, ce roman m’est apparu si différent de la lecture que j’aurais pu en faire il y a seulement quelques mois. Aujourd’hui, je regarde « Baise-moi » comme l’audace d’une autrice d’aller ou peu de gens osent s’aventurer : dans la noirceur de ses propres ombres, de ses propres peurs, de ses propres blessures. Là ou la plupart des gens sombreraient irrémédiablement dans un déni en apparence salvateur, Virginie Despentes puise une force, une justesse et une liberté peu commune. Je crois que c’est cela que l’on appelle la sublimation et j’avoue que d’être le témoin d’une telle expérience alchimique est d’une magnificence extrême à mes yeux. Et c’est la le plus beau cadeau que la lecture de Virginie Despentes m’apporte en tant qu’écrivain : l’autorisation de plonger dans mes propres névroses, mes angoisses les plus profondes pour en tirer une beauté singulière qui n’appartiendra fatalement qu’à moi.

La trilogie « Vernon Subutex » m’est apparue comme l’intégration plus aboutie de tous ces leviers. La peur de se retrouver à la rue, en marge d’une société sans pitié, fait clairement partie des angoisses exprimées par son autrice et des miennes. Mais quand je vois ce que Virginie Despentes en a fait dans son roman, je suis émerveillée et quelque chose de l’impuissance que je ressentais vis-à-vis de cette frayeur irrationnelle s’est envolée. Certains pensent que la littérature peut guérir. Pour ma part, je suis persuadée qu’elle a au moins le pouvoir de nous accompagner sur le chemin de notre humanité. Car les mots apaisent les maux, et la douleur est universelle. Tout ce qui nous unis nous rend plus fort et il est tellement réconfortant pour moi que nous puissions renforcer nos liens aux autres en construisant aussi sur nos failles. Je suis profondément admirative de ce type de courage. Celui d’oser exprimer qui l’on est dans son entièreté. Pas uniquement les cotés glamours et brillants, mais aussi les profondeurs noires et glacées. Virginie Despentes réussit cet exercice avec une force magistrale, ouvrant pour moi, en tant qu’écrivaine, les portes d’une liberté indispensable pour déployer mon propre potentiel, forcément enfoui au cœur de ma propre sensibilité.