Remettre en question le projet

Première mouture. Relecture. Corrections. Ces mots n’avaient aucune réalité pour moi avant de me lancer dans l’écriture de roman. Ils ne faisaient pas partie du rêve. Ce rêve qui racontait avec quel naturel et quelle facilité les textes qui avaient besoin d’exister se bousculaient pour être écrit par un auteur, quel qu’il soit, par un auteur qui pouvait être moi. Alors je me suis mise à l’écriture de ce projet sur lequel je réfléchissais depuis déjà pas mal de temps. Et là, j’ai commencé à tâtonner. À douter. À me chercher. Dans la pratique, j’ai fait la découverte d’une écriture moins simple que dans mon rêve, mais pas moins exaltante et j’étais un peu déstabilisée par ce paradoxe. Je prenais du plaisir à écrire, mais je n’étais pas du tout satisfaite de ce que j’écrivais. La tonalité. Voilà ma grande obsession du moment. Ma voix. Celle de mon personnage, de mes personnages, n’allait pas de soi. Alors j’ai relu tout ce que j’avais écrit jusqu’à lors et j’ai décidé de tout recommencer. Deux fois. Et sans m’en apercevoir, je me suis alors lancée dans un cercle vicieux et infernal qui m’a amené à me perdre, encore plus sûrement, dans les méandres de mes doutes. Mais il y avait plus grave, car en m’enlisant ainsi dans cette quête de tonalité (certainement très égotique en plus) j’étais en train de tuer mon plaisir! En ne m’autorisant pas à avancer dans mon récit, j’usais l’enthousiasme que j’avais pour mon histoire. Je me bloquais délibérément sur la même portion de récit et mon exigence m’astreignait à recommencer, à chercher encore, jusqu’au dégoût. Jusqu’au découragement. Avec un peu de recul, j’ai pris conscience de l’importance de la création d’une première mouture, une base de travail sur laquelle, ensuite, mon exigence pourrait s’exciter autant qu’elle le voudrait. Car il ne s’agit pas de rejeter l’exigence, qui reste malgré tout nécessaire, mais elle n’a juste pas sa place dans cette phase du début d’écriture particulièrement fragile aux jugements (cf Excuse#1: je n’ai aucun talent). Pour se lancer et surtout pour conserver son ardeur au travail, l’écriture a besoin de liberté, d’enthousiasme et de joie. Peu importe si le résultat n’est pas encore à la hauteur de mes attentes. “Chaque chose en son temps” comme dirait ce grand sage. Le texte a besoin de mûrir, de s’approprier l’histoire dans son intégralité avant de passer à la phase de relecture et de retravail. Cette erreur a bien failli avoir la peau de mon roman. Une nouvelle forme de Résistance qu’il était nécessaire de déjouer pour continuer d’avancer.

Portrait en filigrane

Elle existe quelque part, entre fantasme et réalité. À ce jour, elle se matérialise sous la forme d’une silhouette envoûtante qui se découperait dans l’embrasure d’une porte entrouverte. Je la devine, mais ne peux la voir encore dans son entièreté et c’est peut-être ce qui entretient pour moi le mystère depuis tant d’années. De loin, pourtant, je pense que certains sauraient la reconnaître. Elle dégage une aura particulière, paradoxale, complexe. Son intériorité lui assure une indépendance qui effraie. S’ils savaient. Elle a tellement besoin d’eux pour exister. La différence, c’est qu’elle tient debout sans personne et ça, c’est souvent perçu comme dérangeant. Elle intrigue aussi. Car elle détient un pouvoir magique, unique et envié. Celui de faire parler les mots. De les faire vibrer. Ils sont ses messagers. Elle les apprivoise et ensemble, ils expriment une vérité. Certains la traitent d’intellectuelle, d’autres d’originale. Elle fait tache dans l’univers bien ordonné dans lequel on nous intime de nous ranger. Son monde à elle est peuplé d’une multitude d’idées éclectiques, illogiques, sensibles. C’est un univers chaotique, mais elle s’y sent chez elle. Entourée de ces mots, de ces textes qui lui parlent, parfois la bousculent ou bien la consolent. Elle seule a la patience d’attendre, de comprendre, d’entendre si les mots sont disponibles et comment ils souhaitent participer à la danse de l’instant présent. Car parfois, ils se rebellent, farouches opposants à une exigence de résultat qui ne les concerne pas. Je dois rendre ce texte. Mais pour les mots, le « devoir » n’existe pas. Elle le sait. Elle entame alors une approche, experte, sans brusquerie ni complaisance. Sa sensibilité en bandoulière, elle laisse s’épancher ses émotions pour attendrir les mots récalcitrants. Devant tant de vulnérabilité, ils n’ont d’autre choix que de se laisser attraper. Et ensemble ils œuvrent. Elle est la muse et la résistance. Elle est le canal et la source. Elle est l’écrivaine tapie tout au fond de moi et qui se révèle, un jour à la fois.